L’Opéra-Comique pendant la Révolution française (1789-1799)
Ce dossier contient les représentations données par l’Opéra-Comique pendant la Révolution française, des États généraux le 5 mai 1789 à la fin du Directoire le 8 novembre 1799, à la veille du coup d’État du 18 brumaire de Napoléon Bonaparte.
Historical context
À la veille de la Révolution, l’Opéra-Comique jouit d’une position particulière dans les spectacles de la capitale française. Une position géographique tout d’abord : depuis 1783, la troupe joue au Théâtre Favart, situé dans un des quartiers les plus fréquentés de Paris. Une position sociale également : les acteurs-chanteurs de l’Opéra-Comique, que l’on nomme pour quelques temps encore « Comédiens ordinaires du Roi », jouent régulièrement à la cour, à Versailles ou ailleurs, et y créent même certaines œuvres, avant que celles-ci ne soient jouées devant le public parisien. Enfin, l’Opéra-Comique profite également de son privilège, gagné de haute lutte au cours du xviiie siècle, qui lui donne le droit exclusif de jouer des pièces mêlant épisodes parlés et chantés, ce qui définit le genre.
L’année 1789 vient perturber ce tableau de bien des manières. Le premier événement remarquable est l’ouverture du Théâtre de Monsieur le 26 janvier 1789. S’il est présenté comme un théâtre italien lors de son ouverture, on y joue néanmoins également de la comédie française et de l’opéra-comique :
C’est principalement aux Opéras bouffons italiens que ce Théâtre est destiné. On y jouera aussi des Opéras bouffons François, parodiés sur la musique des plus célèbres compositeurs d’Italie, dont les productions charmantes, au moyen de ce nouveau spectacle, ne seront plus perdues pour nous comme elles l’étaient en quelque sorte auparavant. On doit aussi représenter des Comédies françaises, dont nous donnerons l’analyse à mesure qu’elles paraîtront. (Affiches, annonces et avis divers, Journal général de France, 31 janvier 1789, p. 55).
Dès lors, les acteurs-chanteurs du Théâtre Favart, qui depuis 1762 était les seuls artistes autorisés à jouer de l’opéra-comique à Paris, se trouvent avec un concurrent important. Cette concurrence va devenir encore plus forte après la fuite de la troupe italienne du Théâtre de Monsieur, devenu entre-temps Théâtre Feydeau, puisqu’à partir de cette date, le Théâtre Feydeau n’exploite plus que les genres français. Cette rivalité – unique dans l’histoire de la musique française – crée une émulation très fructueuse qui ne cessera qu’avec la réunion des deux troupes sous une administration commune en 1801.
Le second événement déterminant – tant pour l’Opéra-Comique que pour l’histoire, est le début de la Révolution. Ses conséquences ont un impact sur tous les aspects du spectacle : sur son économie, son répertoire, les acteurs-chanteurs, l’institution etc. En conséquence, le troisième événement marquant de l’année 1789 est le retour de la famille royale à Paris. Dès lors, l’ordre établi est renversé : ce ne sont plus les acteurs-chanteurs du Théâtre Favart qui jouent à la cour, mais la famille royale qui se rend au théâtre pour y assister à une représentation.
Circonstances particulières
Au-delà de la programmation au jour le jour pour la quinzaine d’années qui sépare le début de la Révolution de celui de l’Empire, on retrouvera dans ce dossier certaines circonstances théâtrales exceptionnelles qui ont pu avoir une influence sur le répertoire joué, les recettes engrangées ou la fermeture temporaire du théâtre. Jusqu’au retour du roi à Paris (6 octobre 1789), les acteurs-chanteurs de l’Opéra-Comique jouent régulièrement à Versailles, ce qui entraîne soit la fermeture pure et simple du théâtre, soit des spectacles joués plus tôt dans la journée.
Par ailleurs, dès les premières heures de la Révolution, ces circonstances particulières se font l’écho des événements révolutionnaires : le 13 juillet 1789, le semainier du Théâtre Favart écrit par exemple que
Ce jour sur les cinq heures, la garde française posée, le départ de M. Necker ministre s’étant publiée dans Paris. Le peuple au nombre de quatre cent est venu déchirer les affiches de ce spectacle en disant qu’il ne voulait point qu’il y eut de spectacles dans Paris, plusieurs particuliers entrèrent dans la salle et prièrent très honnêtement ceux qui étaient dans les loges de sortir ; en effet tout le monde sortit et reprit son argent, le lendemain la ville fit afficher de ne point ouvrir les spectacles jusqu’à nouvel ordre. Relâche jusqu’au 21 juillet 1789 qu’il a été [permis ?] par la ville de rouvrir les spectacles. 9 jours de relâche (F-Po, Registres de l’Opéra-Comique. Recettes journalières, juillet 1789, THOC 83).
Si ces jours de fermetures forcées se multiplient entre le début des guerres révolutionnaires en 1792 et Thermidor, certaines circonstances témoignent, pour leur part, de la politique culturelle de cette même période : le 13 août 1793, les Parisiens interprètent eux-mêmes Jean et Geneviève de Favières et Solié, ainsi que Guillaume Tell de Sedaine et Grétry dans une représentation « par et pour le peuple » (ibid., août 1793, THOC 78), tandis que le 4 juillet 1794 le semainier indique : « Gratis. Pour le peuple en réjouissance des victoires remportées par les armées de la République » (ibid., juillet 1794, THOC 79).
Si les ressources économiques de l’Opéra-Comique se trouvent donc parfois amoindries par les fermetures exceptionnelles du théâtre ou les représentations gratuites, les débuts des acteurs-chanteurs, souvent annoncés dans la presse quelques jours auparavant, sont en revanche souvent associés à des recettes importantes, au même titre que les créations. Ainsi, le jour de la première représentation d’Adolphe et Clara, ou les Deux prisonniers de Marsollier et Dalayrac le 10 février 1799, la recette s’élève à 4 156,55 livres, alors qu’elle était de 624,60 la veille et sera de 1 094,25 le lendemain (ibid., février 1799, THOC 83). Néanmoins, au cours de la période révolutionnaire, les recettes doivent être analysées en fonction du contexte historique et utilisées de manière mesurée car si entre la Convention et les premières années du Directoire les recettes atteignent des sommets qui feraient rêver – aujourd’hui encore – n’importe quel directeur de théâtre (le 9 juillet 1796, la recette est de 1 104 100 livres, Ibid., juillet 1796, THOC 85), ces sommes astronomiques ne sont en réalité que le reflet des maux qui gangrènent l’économie du pays.
Sources and protocol
Les principales sources de cette chronologie de l’Opéra-Comique pendant la Révolution sont, avant toutes choses, les Registres de l’Opéra-Comique, conservés à la Bibliothèque-musée de l’Opéra de Paris sous les cotes THOC 72 à THOC 85. Néanmoins, ces registres étant lacunaires, plusieurs périodes ont dû être reconstituées à partir des périodiques contemporains. Comme l’indiquent les Registres, les programmations du Théâtre Favart ne sont pas communiquées au même moment aux différents journaux parisiens. Malheureusement, le semainier de l’Opéra-Comique ne précise pas le calendrier de ces envois. Il est donc aujourd’hui impossible de dire quel quotidien est plus digne de foi et les informations doivent être croisées afin de déterminer quelle est la programmation la plus sûre afin de reconstituer une chronologie aussi fidèle que possible à la réalité historique. En conséquence, différents journaux ont été consultés pour combler les lacunes des registres, en particulier les Affiches, annonces et avis divers, le Journal de Paris et le Courrier des spectacles. Chaque événement étant lié à une source dans Dezède, on retrouvera facilement l’origine de la programmation pour les soirées concernées. Si les annonces de ces périodiques ont été consultées systématiquement, elles ont également été complétées par les comptes rendus de spectacles qui confirment ou éclairent sur les éventuelles erreurs des annonces. Lorsque des différences ont été constatées entre ces différents journaux, elles ont été indiquées en notes dans la chronologie. Les périodes lacunaires sont :
- du 5 mars 1797 au 22 mars 1797 inclus ;
- du 30 mars 1798 au 20 octobre 1798 inclus ;
- du 23 octobre 1799 au 20 juillet 1801 inclus.
Bien entendu, les recettes ne sont pas indiquées pour ces périodes, contrairement au reste de la chronologie.
Liste des péériodiques
NB. Les dates correspondent aux années qui ont été consultées pour la réalisation de cette étude.
- Affiches, annonces et avis divers, Journal général de France, 1789-1804.
- Chronique de Paris (La), 1790-1791.
- Courrier des spectacles (Le), 1797-1804.
- Décade Philosophique (La), 1797-1804.
- Esprit des Journaux (L’), 1790-1804.
- Journal de Paris (Le), 1790-1792.
- Spectacles de Paris (Les), 1789-1792.
Select bibliography
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Maxime Margollé, Aspects de l’opéra-comique sous la Révolution : l’évolution du goût et du comique aux théâtres Favart et Feydeau entre Médée (1797) et L’Irato (1801), thèse de doctorat, Université de Poitiers, 2013.
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