En cours de réalisation

(complet du 1er janvier 1908 au 30 juillet 1913)

 

Présentation

Ce dossier expose les représentations données à l’Opéra de Paris entre janvier 1908 et juillet 1914, sous le directorat d’André Messager et de Leimistin Broussan.

Cette époque doit être considérée dans la continuité des directions précédentes de la IIIe République. Elle marque l’aboutissement du système du théâtre livré à la libre-entreprise sous le contrôle de l’État, dirigé par des directeurs-entrepreneurs soumis à un cahier des charges strict, à toute une série de contrôles voire à des amendes en cas d’infraction au cahier des charges. Si l’État octroyait une subvention à l’Opéra, celle-ci était notoirement insuffisante et les directeurs devaient recourir à une société en commandite simple pour réunir les fonds supplémentaires indispensables au fonctionnement du théâtre. Entre 1908 et 1914, ce système démontra ses faiblesses, avec un cahier des charges si lourd qu’il pesa dans l’équilibre précaire des finances et dans la politique artistique des directeurs. Ceux-ci étaient astreints à un nombre irréaliste de créations (définies par le cahier des charges et le contrat passé avec la Société des auteurs et compositeurs dramatique) et bridant la diversité du répertoire car une nouvelle production n’était jamais comptée dans les créations, pas plus que la traduction d’un ouvrage étranger. Les finances étaient grevées par le désengagement continu, depuis la fin du XIXe siècle, des abonnés. Autre entrave dans cette gestion, la mésentente des deux directeurs épuisa le personnel et désorganisa parfois le théâtre. Ils furent malgré eux contraints de rester à leur poste, puisque l’incompatibilité d’humeur n’était pas un motif de démission… Seule la faillite, en juillet 1914, les délivra de ce fardeau. Cette faillite qui surprit les journalistes et les autorités était toutefois prévisible : les dépenses colossales engagées au début du directorat (imposées par l’État pour les travaux de la salle et dues aussi aux nouvelles productions somptuaires de 1908) ne furent jamais totalement résorbées. Les choix artistiques opérés au printemps 1914, avec la multiplication des représentations extraordinaires (hors abonnement) organisées en collaboration avec les troupes russes de Serge Diaghilev eurent un effet pervers en entrainant un report des spectateurs vers ces représentations plutôt que vers les spectacles ordinaires. Constatant la baisse des recettes ordinaires, les directeurs commirent l’erreur de recourir au vieux fonds de répertoire, bien amorti, et de se tourner vers des œuvres dont le succès s’était déjà érodé pour tenter de limiter les pertes, mais les recettes continuèrent de s’effondrer.

 

L’Opéra de Paris devait donner 190 représentations ordinaires (ouvertes aux abonnements) par an. On jouait les lundis, mercredis et vendredis, ainsi que le samedi en hiver. Les spectacles du samedi étaient destinés à un public moins aisé et étaient à tarif réduit. Le théâtre devait en outre donner quatre représentations « populaires », gratuites, à répartir dans l’année, celle du 14 juillet étant obligatoire. En cas de relâche, d’impossibilité de jouer l’un des jours d’abonnement, on devait « rendre » les représentations manquées aux abonnés en les reprogrammant un autre jour de la semaine.

L’Opéra pouvait accueillir d’autres spectacles, dérogeant aux genres imposés dans le cahier des charges ou confiés à d’autres troupes et en fixant librement les prix, les jours sans abonnement (mardi et jeudi). Ces spectacles étaient soumis à autorisation. L’Opéra pouvait simplement louer la salle, proposer le service des personnels techniques, ou collaborer plus largement à la représentation en y impliquant ses personnels artistiques. Ces représentations étaient très attendues et se plaçaient à la haute-saison (printemps ou premiers jours d’été) ; elles concurrençaient les spectacles ordinaires et la programmation du théâtre s’ajustait en conséquence avec des œuvres à grand succès, des distributions plus éclatantes qu’à l’accoutumée, des créations prestigieuses. Le théâtre ne fermait jamais ses portes : on jouait aussi en été et on programmait souvent le vieux fonds de répertoire bien amorti pour limiter les pertes dans la salle peu remplie à cette période de l’année.

 

Pendant longtemps, les études menées sur l’Opéra à la Belle-Époque ou sous la IIIe République ont véhiculé l’idée d’un véritable déclin artistique. Pourtant, l’examen des créations, du répertoire à l’affiche du théâtre à cette époque, ainsi que l’analyse de son fonctionnement viennent remettre en question cette image négative. Le directorat d’André Messager et de Leimistin Broussan ne constitue sans doute pas un âge d’or, mais il doit se comprendre comme l’aboutissement d’un système qui avait connu son apogée lors du long « règne » du directeur précédent, Pedro Gailhard. Il clôt le XIXe siècle et présente déjà l’amorce d’un renouveau qu’il appartint à Jacques Rouché de pouvoir réaliser.

Historical context

Le privilège accordé à André Messager et Leimistin Broussan commença le 1er janvier 1908. Les deux associés, désignés alors qu’ils ne se connaissaient pas encore, furent nommés début 1907 pour prendre la suite de la longue gestion de Pedro Gailhard. Messager, compositeur reconnu et chef d’orchestre réputé, représentait un choix naturel pour lui succéder. Toutefois, son expérience à la tête d’un théâtre avait été jugée insuffisante et il manquait d’appuis financiers et politiques : on lui associa donc Broussan qui avait dirigé plusieurs théâtres en province et possédait de belles relations. Messager pensait certainement que Broussan et lui se répartiraient les rôles et il envisageait de se réserver ce que l’on pourrait appeler la « direction musicale » et les questions de mise en scène ; il aurait vu en Broussan celui qui devrait gérer les questions administratives. Cependant, un troisième homme apparaissait déjà, Pierre Lagarde (qui avait lui aussi brigué la direction de l’Opéra), qui apporta des fonds importants à la commandite et à qui devait échoir la responsabilité des décors et des costumes.

L’équipe directoriale fut très vite fixée. En seconde position, après les deux directeurs, venait Marius Gabion, l’Administrateur de l’Opéra, et dont la nomination invalidait déjà la répartition des rôles entre les deux associés qu’avait imaginé André Messager. Pierre Lagarde avait sous ses ordres un dessinateur, Joseph Pinchon, responsable des costumes. Pour le service de la Scène, on fit appel à Paul Stuart, connu des deux directeurs, qui exerça les fonctions de Régisseur général. Il fut chargé de mettre en scène toutes les nouvelles productions. Léo Staats fut désigné maître de ballet.

Les attentes du public et des critiques musicaux étaient considérables et on espérait beaucoup de la présence de Messager dont la réputation de fervent défenseur de la jeune musique française, des oeuvres de Wagner et de la musique russe laissaient espérer un renouvellement du répertoire jugé plus que nécessaire. Il fallut patienter : le théâtre resta fermé près d’un mois pour travaux en janvier 1908. Le 27 janvier, l’Opéra rouvrit ses portes avec une nouvelle production de l’œuvre emblématique de la maison, Faust, remis à l’étude pour revenir aux tempi de Taffanel. Le coup d’éclat séduisit, mais on déchanta très vite quand le vieux fonds de répertoire reprit sa place dans la programmation. Les créations devaient pourtant suivre rapidement, mais les retards des peintres décorateurs mirent à mal la patience des spectateurs. Dès le printemps 1908, une lutte sans merci s’engagea entre un nouveau journal, Comoedia, et la direction de l’Opéra. Comoedia traqua les moindres manques (réels ou supposés), les plus infimes défaillances du théâtre, propagea des rumeurs plus ou moins fondées, dénonça des scandales et tenta d’obtenir le limogeage des directeurs. Ceux-ci étaient tout à fait conscients qu’ils jouaient leur crédit sur cette première année d’exercice : on ressuscita Hippolyte et Aricie (sans succès) et on lança l’achèvement de la création de la Tétralogie wagnérienne avec Le Crépuscule des dieux. La venue de la troupe russe de Diaghilev avec Boris Godounov (spectacle réalisé avec la collaboration technique et musicale de l’Opéra) marqua les esprits mais se révéla un gouffre financier pour le théâtre qui avait acquis la production mais ne put la reprendre faute d’obtenir une bonne traduction de l’œuvre. En dépit des réussites artistiques, la situation avec la presse était si dégradée et avait eu de telles conséquences sur la gestion de la société en commandite ainsi que sur la naissance de factions au sein du théâtre que Messager remit sa démission, incapable de supporter encore la discorde permanente avec son associé. Il fut sommé de reprendre son poste.

L’année 1909 vit l’exacerbation des tensions avec Comoedia qui amena la question de l’Opéra à être discutée sur les rangs de l’Assemblée nationale. Broussan cependant, le véritable bouc émissaire des journalistes, disposait de très solides appuis politiques qui contribuèrent à laisser une marge de manœuvre aux deux directeurs, malmenés par la presse mais aussi par leurs propres associés en commandite. Le bras de fer avec Comoedia perdura jusqu’en 1910, lorsqu’un titre maladroit d’un article fournit enfin à l’Opéra le motif d’un procès, qu’il gagna. Parallèlement à cette situation difficile, l’Opéra dut faire face aux revendications de plusieurs de ses personnels : les machinistes refusèrent la nomination de leur nouveau chef, deux chefs des chœurs furent conduits à démissionner, le maître de ballet fut désavoué par ses troupes. Léo Staats fut remplacé par Louise Stichel mais, en décembre, les danseurs se mirent en grève pour réclamer une augmentation de salaire. Malgré les cris des journalistes déplorant le manque d’innovation, l’Opéra continuait de créer de nouvelles œuvres : on monta Monna Vanna d’Henry Février, puis Bacchus de Massenet (un fiasco). On créa la Javotte de Saint-Saëns qui avait déjà fait les beaux jours de l’Opéra-Comique et qui permettait de réveiller un peu le ballet de l’Opéra endormi sur Coppélia. La dernière création de 1909, L’Or du Rhin, fut un succès et laissa augurer de futures représentations complètes de la Tétralogie.

La grève des danseurs de 1909 se solda par la capitulation de la direction qui leur accorda l’augmentation demandée, mais ce fut bientôt le personnel non artistique qui réclama à son tour une révision des salaires qui fut refusée pour des raisons budgétaires. L’année 1910 avait mal commencé pour la direction car la grande crue de la Seine paralysa une partie de Paris jusqu’au mois de février. L’Opéra annula peu de représentations mais les spectateurs ne pouvaient se rendre au théâtre : les pertes financières se révélèrent importantes, sans compter les représentations à « restituer » aux abonnés et le retard pris dans le planning. Les premières créations de l’année survinrent dès que les eaux furent redescendues : il s’agissait d’un ouvrage « prix de Rome », La Forêt d’Augustin Savard et du ballet La Fête chez Thérèse de Reynaldo Hahn. Cette œuvre fut un énorme succès en raison de la beauté de la production et de la qualité de la chorégraphie de Stichel. Néanmoins, les relations de la maîtresse de ballet avec les danseurs étaient devenues si mauvaises qu’elle quitta l’Opéra dès l’année suivante, désavouée par la direction pour avoir voulu faire valoir ses droits d’auteur pour la chorégraphie de son ballet. La haute saison vit le triomphe de Salomé de Richard Strauss. La production compta parmi les plus grandes réussites artistiques et financières du privilège et avait été longtemps attendue : le compositeur et son éditeur Fürstner avaient en effet eu de telles exigences qu’il avait fallu des années pour signer le contrat avec l’Opéra. À la même période, on monta La Damnation de Faust, espérant trouver là un succès facile. L’œuvre alla en scène dans une atmosphère de cabale en raison de l’action menée par Raoul Gunsbourg, le directeur de l’opéra de Monte-Carlo, premier à avoir porté l’œuvre à la scène et qui entendait bien que l’on monte « sa version » de l’œuvre, ce que toute l’équipe artistique de l’Opéra refusa. La production fut décriée, faite au rabais, avec tellement de remplois dans les décors et les costumes que cela en devenait gênant. La dernière création passa peu avant la fin de l’année : Le Miracle de Georges Hüe ne suscita qu’un enthousiasme poli.

La reprise de Gwendoline début 1911, promise au fils de Chabrier par Messager, fut perçue comme un événement important pour la musique française mais la création du ballet España, sur des musiques du même compositeur en revanche, fut très critiquée. Au printemps, l’arrivée de Siberia, un opéra d’Umberto Giordano qui avait déjà été présenté aux Parisiens en 1905 au théâtre du Châtelet, fit resurgir la polémique autour du « vérisme » et de la nouvelle école italienne. On s’accorda à trouver l’ouvrage déplacé sur la scène de l’Académie nationale de Musique. La présentation de la Tétralogie sous forme de cycle hors abonnement, au mois de juin, fut vécue comme un véritable événement, dont l’éclat se trouva encore rehaussé par la présence au pupitre de Felix Weingartner et Arthur Nikisch. Alors que le public se pressait pour les représentations exceptionnelles, les danseurs se mirent de nouveau en grève. Le mouvement aboutit à la rédaction d’un nouveau règlement pour les membres du corps de ballet et les solistes. La place de maître de ballet étant laissée vacante par le départ de Louise Stichel, les directeurs annoncèrent en septembre l’engagement d’un nouveau venu sur la scène parisienne, Ivan Clustine. Il fut accueilli avec méfiance par ses troupes et les journalistes qui redoutaient la transformation de l’école française de danse sous une influence russe. Sa première chorégraphie, peu novatrice, pour le ballet de Lucien Lambert qui passa à la fin du mois de décembre, La Roussalka, fut reçue avec bienveillance. La fin de l’année 1911 vit la création de l’opéra de Saint-Saëns, Déjanire. L’Opéra avait été devancé par Monte-Carlo qui avait monté l’œuvre quelques mois auparavant.

L’année 1912 débuta dans l’agitation avec la grève subite de tous les danseurs. Les machinistes suivirent leur exemple mais le personnel se montra très divisé. Cette fois-ci la direction refusa de céder et licencia tous les danseurs, n’acceptant de les réintégrer qu’au cas par cas. Le public, le ministre de tutelle et la presse soutinrent l’administration du théâtre. Pendant plusieurs semaines, aucun ballet ne fut donné à l’Opéra. Le conflit n’enraya cependant pas le travail de répétition et deux nouvelles œuvres furent portées à la scène au printemps. Le Cobzar de Gabrielle Ferrari récolta peu de suffrages, boudé par la presse qui accusa l’auteur de vérisme. Roma de Jules Massenet, en revanche, fut un incontestable succès. Montée en un temps record, l’œuvre bénéficia du travail effectué peu de temps avant pour sa création mondiale à Monte-Carlo avec une distribution quasi-identique. Monte-Carlo s’était toujours montré un concurrent sérieux de l’Opéra, mais aussi un théâtre avec lequel il valait mieux collaborer. On signa un contrat avec son directeur afin de permettre la venue de la troupe avec trois œuvres, en dehors des jours d’abonnement, à la haute saison. Pendant que l’opéra de Monte-Carlo (et surtout ses têtes d’affiche) récoltait un triomphe, l’Opéra remontait La Tétralogie. Parmi les projets les plus ambitieux de la direction de l’Opéra figurait la création, à partir de 1914 et à l’entrée dans le domaine public, du dernier opéra de Wagner, Parsifal. Dès août 1912, l’Opéra signa un contrat d’exclusivité en langue française avec les représentants de la famille Wagner mais, en septembre, Gunsbourg annonça qu’il n’attendrait pas et créerait l’opéra à Monte-Carlo, en français, pendant l’hiver 1912-1913. L’affaire occupa la presse et les esprits pendant des semaines ; jusqu’à la dernière minute le directeur de l’opéra monégasque pensa avoir réussi son entreprise mais, à la suite de l’intervention directe de Cosima et de Siegfried Wagner, le prince de Monaco interdit lui-même les représentations à la veille de la première. Deux œuvres furent créées à l’Opéra en fin d’année. Les Bacchantes de Bruneau, un ballet comportant des parties chantées et qui constitua un véritable succès pour le maître de ballet Ivan Clustine. À la toute fin du mois de décembre, on arriva enfin à monter Fervaal de Vincent d’Indy, un projet chéri par Messager.

Dès janvier 1913, l’Opéra créa Le Sortilège, un opéra d’André Gailhard. L’œuvre ne connut pas un grand succès et les journalistes prirent un malin plaisir à souligner que le compositeur était le fils de l’ancien directeur de l’Opéra, discréditant ainsi la légitimité de son « entrée » au théâtre. Les répétitions s’enchaînèrent sur l’opéra d’Hermano Wolf-Ferrari, Les Joyaux de la Madone. La presse loua la qualité de la production ; en revanche, on n’accepta pas de trouver sur le plateau du Palais Garnier une œuvre que l’on qualifia de vériste et que l’on jugea vulgaire. Le succès fut cependant au rendez-vous. Le lourd retard de cette création, dû aux têtes d’affiche, n’empêcha pas la présentation d’autres œuvres. Ainsi, d’ambition plus modeste, le ballet Suite de danses qui remployait des œuvres de Chopin orchestrées pour l’occasion par André Messager et Paul Vidal connut un véritable engouement. Dans un contexte marqué par une concurrence effrénée entre les théâtres, notamment lors de la haute saison, l’ouverture le 2 avril 1913 du Théâtre des Champs-Élysées dirigé par Gabriel Astruc embarrassa considérablement la direction de l’Opéra.

Contrastant avec la fin de l’année précédente, plutôt terne, le début de l’année 1914 fut marqué par ce que beaucoup considérèrent comme le triomphe de la direction Messager et Broussan : la création parisienne de Parsifal. L’Opéra préparait l’œuvre depuis le milieu de l’année 1913 et partait avec la volonté de rivaliser, voire dépasser, les standards artistiques du festival de Bayreuth. La presse se montra unanime, y compris sur la direction d’André Messager qui assura plus de la moitié des représentations jusqu’à l’été.

L’équipe des chefs d’orchestre connut quelques modifications après le départ, le 31 décembre 1913, de Paul Vidal. Un autre changement marqua profondément l’Opéra : le 2 février, le régisseur général Paul Stuart mourut brutalement à son domicile. Octave Labis lui succéda immédiatement. La saison du Carnaval fut l’occasion pour l’Opéra de renouer avec la tradition des grands bals dans la salle aménagée spécialement. Alors que 1914 devait être la dernière année du privilège Messager-Broussan, l’Opéra vécut quelques-unes de ses plus belles heures. Après le succès de Parsifal, on monta enfin l’opéra d’Alfred Bachelet, Scemo. L’œuvre faisait partie des créations commandées aux Prix de Rome mais elle était sans commune mesure avec les autres pièces créées dans ces circonstances. La partition impressionna les critiques et les spectateurs. Deux ballets furent montés au premier semestre : Philotis, danseuse de Corinthe de Philippe Gaubert, et Hansli le Bossu des frères Jean et Noël Gallon. La haute saison fut cette année-là l’occasion d’un véritable feu d’artifice avec le retour des Ballets russes. Les forces conjuguées de la troupe réunie par Diaghilev et de l’Opéra permit la création de La Légende de Joseph de Richard Strauss, de Petrouchka et du Rossignol d’Igor Stravinsky. Le Coq d’or de Nicolaï Rimski-Korsakov parut pour la première fois sur le plateau du Palais Garnier. Il n’y eut malheureusement qu’une seule représentation car la veuve du compostiteur obtint l’interdiction des autres spectacles prévus, arguant que l’opéra avait été dénaturé.

L’activité frénétique des mois de mai et juin, avec un spectacle tous les soirs, masqua pour un temps la réalité d’énormes problèmes financiers certainement accentués par la concurrence du Théâtre des Champs-Élysées et des Ballets russes. Depuis le printemps, l’Opéra perdait beaucoup d’argent et même Parsifal voyait ses recettes baisser. Début juillet, les rumeurs d’une faillite atteignirent les journaux : elle fut très vite effective. À la mi-juillet Jacques Rouché accepta de prendre plus tôt que prévu les rênes de l’Opéra, mais il obtint de ne rouvrir qu’en septembre et arrêta immédiatement les répétitions des œuvres qu’il n’entendait pas créer. Les événements politiques précipitèrent toutefois les choses : le 2 août, la mobilisation générale fut déclarée. L’Opéra ferma ses portes avec le départ d’une partie de son personnel, pour ne rouvrir qu’à l’automne 1915.

Sources and protocol

La chronologie des représentations données à l’Opéra entre 1908 et 1914 s’appuie sur trois instruments principaux conservés à la Bibliothèque-Musée de l’Opéra à Paris.

Le journal de l’Opéra (numérisé sur Gallica), largement utilisé par les chercheurs, est un instrument rétrospectif compilant différentes sources pour proposer une chronologie des représentations du théâtre. Pour le début du XXe siècle, il est relativement fiable. Il manque parfois les répétitions générales publiques, les représentations hors abonnement. Il convient toutefois de rester prudent car certaines représentations données par cet instrument n’ont en réalité jamais eu lieu ni même été programmées. Pour la période considérée il s’agit des 21 mars et 23 mai 1909, des 17 avril, 6 et 25 septembre 1910, des 5 et 14 février, 15 octobre et 30 novembre 1911 et du 1er octobre 1912. Les programmes imprimés forment une série assez complète sur cette période. Ils sont divisés en deux séries : les programmes « ordinaires » (sans cote) et ceux des représentations extraordinaires (carton 2238). Le Journal de régie (RE 33 à 37) est un document exceptionnel, rédigé par le régisseur général Paul Stuart. Comme les autres registres de cette série, il comporte les rubriques habituelles (représentations, répétitions et leçons) mais Stuart consigna dans la rubrique observations toute la vie de l’Opéra à cette époque, transformant un outil de travail en « quotidien » du théâtre et en véritable journal intime. Il manque malheureusement l’année 1908 et les mois de février à juillet 1914, Stuart étant mort début février.

Pour établir la chronologie de l’Opéra, nous nous sommes basés d’abord sur le journal de régie, puis sur le journal de l’Opéra et les programmes. Le journal de régie, très précis, permet de déceler les changements de dernière minute (spectacles ou distributions) qui auraient été omis par le journal de l’Opéra ou les programmes. Pour l’année 1908 et février-juillet 1914, nous avons aussi examiné les annonces des spectacles à venir imprimées dans les programmes ordinaires et nous avons eu recours aux journaux de la Danse et du chef d’orchestre (Archives contemporaines 940586/1 et Bibliothèque-Musée de l’Opéra RE 134-140), équivalents du journal de régie pour le Ballet et les musiciens, donnant la représentation du jour. Nous avons inclus dans les représentations les répétitions générales publiques car, à cette époque, les spectateurs et les journalistes y étaient admis et ceux-ci se basaient sur ces spectacles pour écrire leur critique d’une création. Nous livrons aussi les représentations « extraordinaires » car elles se déroulaient souvent avec le concours d’une partie du personnel de l’Opéra ; parfois, elles émanaient directement du théâtre qui saisissait l’opportunité de ces jours où il pouvait fixer les tarifs librement pour proposer des spectacles exceptionnels et donc très lucratifs (la Tétralogie, par exemple).

Les recettes sont issues du journal de l’Opéra et des feuilles comptables conservées aux Archives nationales (AJ13 1285-1286, AJ13 1292, AJ13 1337 et AJ13 1401). Elles sont inégalement conservées selon les périodes. Les feuilles comptables présentent les recettes brutes, tandis que le journal de l’Opéra propose les recettes nettes, après prélèvement du droit des pauvres. Lorsque nous disposons des deux documents, nous privilégions les recettes nettes.

Les distributions ont été reprises des programmes imprimés : elles sont généralement fiables car l’impression avait lieu à la dernière minute. Néanmoins, des changements peuvent figurer dans le journal de régie, ou avoir été notés à la main sur les programmes de l’Opéra. Nous indiquons ces modifications le cas échéant. Lorsque les programmes ne sont pas conservés, nous nous sommes tournés vers le journal de régie. Celui-ci ne donne qu’une liste de noms, non exhaustive, mais il est possible de retrouver les rôles chantés par les principaux interprètes. Pour les rôles secondaires toutefois, la prudence est de mise car l’alternance prévalait dans le système de la troupe et on pouvait permuter les titulaires des rôles d’une même tessiture. Le journal de régie est très pauvre pour la danse, ne livrant souvent que le nom de l’interprète féminine principale ; les programmes sont en revanche exhaustifs. En ce qui concerne les années 1908 et 1914, si le programme est manquant, nous nous référons aux annonces de Comoedia : émanant directement du théâtre elles présentent l’inconvénient cependant d’être composées au minimum un ou deux jours à l’avance. Dans un premier temps, la distribution, ou la liste des interprètes, sera placée en note de chaque évènement. Dans un second temps, elle sera reprise pour être incluse dans la section « programme » de la base de données : seuls les rôles listés « officiellement » par les partitions ou les livrets feront l’objet de cette reprise. Nous garderons en note les tout petits rôles, les listes de coryphées cités dans le programme. De même, nous conserverons en note les membres du ballet listés dans les programmes en respectant l’ordre d’impression : il reflète souvent la hiérarchie du ballet.

L’orthographe des noms des artistes a été harmonisée en prenant pour base les listes des personnels établies dans les appointements de l’Opéra (complétés par la liste du personnel établie en 1913 pour Jacques Rouché, le tout conservé à la Bibliothèque-Musée de l’Opéra, fonds Rouché pièce 5 et série PE 69-70, 84-85, 98-100, 113-115). On y trouve aussi souvent des prénoms permettant de compléter l’identité de ces personnes. Nous avons consulté une partie des contrats conservés aux Archives contemporaines et aux Archives nationales (930357/16 à 22 et 930357/26, AJ13 1215-1217). Nous avons aussi eu recours aux instruments classiques comme le Grove, le Sängerlexicon de Kutsch et Riemens, ou encore aux ouvrages de Gouret et de Wolff. Nous n’avons parfois pas pu trancher sur l’identité de certains artistes. Ainsi, on trouve parfois des familles entières de danseurs mais lorsque les programmes ne donnent qu’un nom de famille il devient impossible de distinguer les sœurs ou les frères.

Select bibliography

Karine Boulanger, L’Opéra de Paris sous la direction d’André Messager et de Leimistin Broussan (1908-1914). Fonctionnement, répertoire et réalisations scéniques, thèse de musicologie sous la direction de Catherine Massip, Paris, EPHE, 4 vol. dactyl., 2013.

Karine Boulanger, Édition critique du journal de Paul Stuart [annexe principale de la thèse], en accès libre sur HAL-SHS : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01133494. Cette édition revue et corrigée et accompagnée d’une étude plus complète sur Paul Stuart sera publiée par l’IRéMus au printemps 2023.

Viviane Deschamps, Histoire de l’administration de l’Opéra de Paris (second Empire-troisième République), thèse de doctorat d’histoire, Université de Paris-IV, 2 vol. dactyl., 1987.

Vincent Giroud et Solveig Serre (dir.), La Réglementation de l’Opéra de Paris, 1669-2019 : édition des principaux textes normatifs, coll. « Mémoires et documents de l’École des Chartes », 109, Paris, École nationale des Chartes, 2019, p. 273-338.

Michel Noiray et Solveig Serre (dir.), Le répertoire de l’Opéra de Paris (1671-2009), analyse et interprétation, Paris, École des Chartes, coll. « Études et rencontres de l’École des Chartes », 32, 2010.

Frédérique Patureau, Le palais Garnier dans la société parisienne, 1875-1914, Liège, Mardaga, 1991.
Nicole Wild, Dictionnaire des théâtres parisiens (1807-1914), Lyon, Symétrie, coll. « Perpetuum mobile », 2012.

To cite this dossier

Karine Boulanger (ed.), «La direction d’André Messager et de Leimistin Broussan (1908-1914)», Dezède [online]. dezede.org/dossiers/id/502/ (consult the May 31, 2023).